vendredi 5 mai 2017

Ma jeunesse fout l'camp



À partir de quel âge commence-t-on à ne plus vouloir grandir ?

Quand on est petit, on a vraiment envie de grandir. Petites filles et petits garçons rêvent de pouvoir faire comme les grands : se coucher quand ils le veulent, faire du vélo sans petites roulettes ou conduire la voiture comme maman et papa, n’avoir personne qui vous dise de manger ses épinards ou d’aller se brosser les dents, et tout ça.

Et puis un jour, ça arrive : on est adulte, majeur, et on peut faire plein de choses sans demander l’autorisation. Mais avec la liberté arrive aussi le loyer de la liberté : les responsabilités, les soucis, les contraintes, les obligations…

La légèreté de l’enfance nous est confisquée par la vie d’adulte. On passe de l’insouciance à la souciance. Est-ce que c’est vraiment si bien que ça, d’être un grand ? Pour beaucoup d’entre nous, c’est alors un passage obligé par la nostalgie et la mélancolie d’une jeunesse que l’on voit foutre le camp, comme dans la chanson de Françoise Hardy : Ma jeunesse fout l’camp...

Ouille ! Voilà qui ne donne pas envie de grandir… Alors on fait quoi ? Eh bien, ce qui est merveilleux avec la vie humaine, c’est que nous avons alors plein d’options existentielles.

La plupart d’entre nous acceptons de grandir : d’abord parce que nous n’avons guère le choix, ensuite parce que le fait de grandir est la seule réponse possible au fait de vieillir. Grandir, quand on est adulte, ça ne se passe plus dans le corps, mais dans la tête : on grandit en intelligence de la vie, c’est-à-dire qu’on s’efforce d’aller vers plus de sagesse, plus de bonheur et de générosité.

C’est ce que disait très bien le philosophe Gustave Thibon : « Aujourd’hui, ton corps est plus vrai que ton âme ; demain, ton âme sera plus vraie que ton corps ». C’est ça devenir adulte : notre corps décline et notre âme grandit…

Mais certaines personnes n’ont pas du tout envie de voir décliner et vieillir leur corps, et il leur semble qu’en refusant de grandir, en s’occupant de toutes leurs forces de « rester jeunes » elles vont freiner le passage du temps. Elles continuent de s’habiller, de parler, de se comporter comme des jeunes, elles continuent d’essayer de penser comme des jeunes. Elles sont à la fois ridicules et émouvantes, à la fois peureuses et courageuses.

Courageuses, oui, parce qu’en voulant à tout prix faire jeunes, elles apparaissent ainsi deux fois plus vieilles, et qu’elles le sentent. Mais émouvantes, parce que finalement leurs inquiétudes face au passage du temps sont les nôtres.

Et vous, vous vous souvenez du moment où vous avez compris que votre jeunesse foutait le camp ?


Illustration : Du temps de ma jeunesse, il y avait des 45 tours...

PS : ce texte reprend ma chronique du 25 avril 2017, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.