mercredi 14 décembre 2016

Un peu de piment dans le compartiment…



Cette semaine, j’étais dans un train tôt le matin, de retour d’une conférence qui avait eu lieu la veille au soir. Tout le wagon était rempli de cadres qui partaient travailler, et qui faisaient les trucs habituels des cadres dans le train : ils rédigeaient des rapports sur leur ordinateur, ils discutaient entre eux de la réunion qui les attendait à Paris, certains regardaient des films d’action et d’autres lisaient L’Équipe. Bref, un environnement pas très fun et un peu fade. Et là, un petit truc se passe, comme je les aime…

Une vieille dame débarque dans le compartiment, assez chic avec une belle permanente blanche, arrive à sa place, et là, surprise : un monsieur en costume cravate y est déjà assis et discute avec ses collègues.

Elle l’interpelle : « - Monsieur, je crois que vous êtes assis à ma place ! » et ils commencent à discuter : « - Ah, madame, je ne crois pas, vous avez bien la place 54 ? - Oui monsieur, la 54 ! - C’est bizarre ; et vous êtes sûre que vous êtes dans la voiture 2 ? - Ah non, je suis dans la voiture 1 ! Ce n’est pas voiture 1 ici ? - Eh non, madame, c’est la 2, vous n’êtes pas dans la bonne voiture… »

Là, le train commence à démarrer et la petite dame, elle, commence à s’affoler, toute seule de son espèce au milieu des cols blancs qui la regardent, un peu amusés. Elle ne sait pas comment rejoindre la voiture 2, parce que ce sont des voitures de TGV à 2 étages, nous sommes à l’étage du bas, il faut repasser par le compartiment du haut pour changer de voiture. Apparemment, elle n’a jamais fait ça de sa vie, elle a l’air très inquiète.

Alors le groupe de cadres la prend sous son aile, et finit par lui trouver une place vide non loin d’eux : « mettez-vous là madame, il n’y a personne ! »

Mais non, ça ne lui va pas à la dame, elle fait non de la tête, un peu gênée : « c’est pas dans le sens de la marche, vous comprenez, ça me rend malade » et elle reste debout dans le couloir avec son air perdu, têtu mais aussi attendrissant. Les cadres s’agitent à nouveau, chamboulent leurs places, et arrivent à la caser dans le sens de la marche après un petit jeu de chaises musicales.

Ça y est, tout le monde est rassis et chacun reprend ses activités. Moi, je regarde par la fenêtre le paysage qui défile…

Je souris tout seul, tandis que le train accélère doucement. Ça m’a plu de voir tous ces inconnus se bouger les fesses pour cette petite dame. Mais ce que j’ai encore plus aimé, c’est le petit rebond de l’histoire, son petit grain de sel, quand elle refuse la place qu’on lui offre pour en avoir une dans le sens de la marche. Moi je n’aurais jamais osé, après avoir fait bouger tout le troupeau de cadres, réclamer ça. Elle l’a fait et ça me plait.

Et vous, vous auriez fait quoi à la place de la dame ?


Illustration : aidons-nous et sourions-nous les uns les autres...

PS : ce texte reprend ma chronique du 29 novembre 2016, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.